DE L’ANCIEN-REGIME À LA REVOLUTION - LES CHATEAUX DES ENVIRONS DE LA FLÈCHE - BOUCHER, Charles Pierre Augustin (Montbason 1742-1812). Maître des arts et chirurgien en chef du Prytanée militaire de la Flèche. Manuscrit intitulé: Idée des châteaux et maisons de campagne des environs de la Flèche avant la Révolution.
17 p. in-4 et 2 in-8. Avec beaucoup de corrections. S. l. et. d. Sans doute LA FLÈCHE, fin de 1801 (cf. pour la date et l’attribution : Annales de Bretagne et des pays de l’ouest, Anjou, Maine, Touraine 91 (1984) 159). Texte extraordinaire, entièrement transcrit (par moi):
Chateau de Malicorne. Il appartenoit au Marquis de La Chatre [ou CHASTRE] qui la vendu à Mr. de Praslin, ainsi que la terre de Bonne-Fontaine, annexe considerable, a Mr. Bertrand de Nantes.
On sait que la maison de La Chatre est une des plus anciennes de France ; elle se perd dans la nuit des tems audela des croisades. Le dernier La Chatre fut gouverneur de St. Malo. Il epousa une demoiselle de la maison des Ussens qui a donné plusieurs princes à l’eglise. Il eut deux fils dont l’aîné fut gentilhomme de Monsieur, frère du roi, et qui fut colonnel du regiment de dragons de ce prince. Le cadet, ou chevalier, prit le...des armes qu’il fut contraint de quitter bientôt, ayant tenu une mauvaise conduite dans une affaire d’honneur. Il .. a son adversaire avant qu’il fut en etat de defense. Il se jetta dans l’etat eccesiastique, qui auroit du le revomir.
Le vieux marquis etoit un homme dur, la marquise d’une hauteur insuportable, elle ne permetoit pas aux hommes de s’asseoir devant elle. Cette fierté ceda à la lecture de l’evangile et cette femme devint aussi humble quelle avoit été superbe. C’est dans ces heureux sentimens qu’elle porta sa tête à la guillotine sous Robespierre. Son mari mourut auparavant.
Cette maison se ruina par beaucoup de depense et par la batisse des deux pavillons que l’on voit aujourd’hui. Le chateau précedant etoit de forme antique, j’en voiois avec plaisir un vieux donjon dans lequel Mde. de Sevigné avoit séjourné. Le pavillon de droite en entrant continoit une biblioteque précieuse et une suite de portraits des La Chatre, dont le premier etoit du onzieme siecle. Ce La Chatre etoit prince de Delos ; cette collection etoit d’autant plus precieuse que l’on voioit les differens costumes de guerre qu’ont porté les francois.
L’ainé La Chatre épousa une D(emois)elle Boutiars, riche heritiere du financier Beaujeon. La vielle marquise ne trouva pas ce parti aussi avantageuse de la fortune qu’elle se l’étoit promis et elle avoit le chagrin d’avoir allié son fils à la finance ce qui lui faisoit dire avec humeur ; quand les gens de notre espece se mésalient, il faut qu’ils prennent une femme toute d’argent. Cependant le comte de Namé, c’etoit le nom des aînés de La Chatre, aimoit sa femme, l’argent qu’il lui apporta servit d’ailleurs à flatter son amour propre ; il le mangea en grande partie à donner des fêtes magnifiques à Malicorne, où il assembloit les officiers de son regiment et ceux des Carabiniers. Les habitans de Malicorne virent repandre l’or dans leurs foyers, mais ils virent aussi la dissolution des m... s’introduire parmi leurs femmes et leurs filles, qui jusques-là ne connoissoient que la simple nature. Les commedies, les bals donnés au chateau, le sejour des laquais repandirent la corruption avec rapidité. Le comte de Namé eut un fils, nommé Alphonse, bel enfant, et du plus grand espoir. (*Il resta auprès de sa mere etant trop jeune pour suivre son père. Parvenu à l’age de porter les armes il s’est embarqué sur l’escadre de Leclerc destinée à reconquerir St. Domingue sur Toussaint Louverture et il a été tué dès la premiere affaire.) Mais sa fortune a été en grande partie dispersée presque dès sa naissance. Le desordre de cette maison obligea de vendre cette belle terre qui valoit de revenu. Le comte de Namé, n’est plus connu que sous le nom de La Chatre, il a émigré et a eu a commander un corps de 4000 hommes. Sa femme est restée en France avec son fils ; elle a divorcé et s’est mariée à Joseph Jaucour, homme d’une famille distinguée par son rang et par son esprit. Mr. de La Chatre n’est pas encore de retour en France.
Pescheseul, par corruption Peschereuil. Chateau considerable mais mal bati près Parcé, fameux par le sejour d’un seigneur de Champagne, qui faisoit sauter dans un vivier les gens qui n’etoient pas de son parti. Il appelloit le vivier sa grand terre. Charles IX etant venu à Pescheseul demanda à voir cette ..., à laquelle tant de malheureux avoient bu jusqua la mort, il fut epouvanté en voyant le vivier et la hauteur d’ou le Sr Sire de Pescheul faisoit precipiter ses malheureuses victimes.
Cette terre appartient à Mr. Barin [= BARRIN] de la Galissonniere, marquis, chevalier de St. Louis, colonel d’infanterie, quatrième fils d’un pere et d’une mere qui avoient dilapidé toute leur fortune. Cette maison a eu un chef d’escadre sous Louis XV. Les trois freres aînés furent tués en duel par le meme homme. Le 4me etoit destiné a l’eglise et portoit le nom d’abbé au collège des jesuites où j’etudiois avec lui; La voulant repaser sa fortune par un riche mariage, il épousa M(ademois)elle Poisson niece de Mde. de Pompadour, maitresse de Louis XV. Le mari obtint brevet de colonel, mais il eprouva des desagremens par la legereté de sa femme. Revolution la jetté dans d’autres malheurs par suite de l’emigration. Mr. La Galissonniere est homme d’esprit propre à la diplomatie. Il ne paroit pas qu’il soit encore de retour de son emigration.
La Suze, en Courcelle, chateau situé près d’une foret et dans un bas formant un corps de batiment considerable.
La comtesse de la Suze qui vivoit dans le tems de nos guerres civiles anterieures, est fort connue par son singulier mariage et encore plus par ses poesies.
Le comte de la Suze etoit marechal des logis de la cour sous Louis XV. Son origine vient de Chamillar [=CHAMILLART], ministre parvenu, mais d’un grand merite, sous Louis 14. (*il epousa une demoiselle Chauvelin, fille du garde des sceaux de France.) Mr. de la Suze partagea l’amitié du Roi avec beaucoup d’autres seigneurs qui avoient paru à la cour de bonne heure et qui partagerent les premiers plaisirs de sa jeunesse. Ce prince devenu libertin, ses favoris participerent à sa debauche. Dans ces orgies chacun changeoit son nom. Mr. de la Suze rapportoit qu’un jour le Roi prit celui de la France, que l’on donne quelque fois à un domestique ; chacun en prit un de cette nature et on parla, on but comme font les laquais. Mr. de la Suze sentit combien Louis XV. s’humilioit et joua mal son personnage. Louis s’en appercut et sentit qu’il s’..., tout à coup il dit, Messieurs, voilà le Roi, qui arrive. Alors on le salua et chacun reprit son nom et son rang. Un caractere honnête comme celui du comte de la Suze ne pouvoit pas continuer longtems de partager la crapule a laquelle la cour etoit livrée, il s’en retira et vint à sa terre repandre beaucoup de bienfaits et une grande édification par une religion rare dans tous les rangs. Son fils s’est emigré et a donné dans la haute devotion. On a vendu, dilapidé cette terre.
La Rochedivan, en Mansigné, chateau appartenant au vieux marechal de Maillé, qui a raison de son rang et de son attachement à Louis XVI a été guillotiné. La terre Divan est assez considérable, mais le chateau est une maison assez ordinaire, dont toutefois les dehors sont beaux. Elle a été reticée par Mde. de Maillé des mains des patriotes que en avoient traité avec la nation. Cette dame y fait son sejour avec son fils et se console de ses grandeurs avec cet enfant et la musique. Les fêtes que le marechal donnoit etoient belles ; mais son caractère naturellement dur en auroient banni le plaisir si la marechalle n’eut emploié beaucoup d’amenité, de grace et de prevenance pour reparer les tords de son mari, dont elle s’appercevoit avec peine. On servait dans cette maison beaucoup de vin de Roussillon, province dont Mr. de Maillé etoit gouverneur. Ce vin est rouge et d’une qualité précieuse par son parfum, sa couleur et parce qu’il se conserve un grand nombre d’années il est encore assez peu connu à la Flêche.
Veneville, en Mansigné, vieux chateau dont la situation n’est pas avantageuse. J’ai parlé cidevant du marquis de Veneville et du malheur de sa maison. Ce chateaux a été vendu à ... prêtre qui s’est jetté dans le commerce. Il reste encore quelque domaine, le fils jeune homme de 16 ans semble devoir en reprendre possession. Le sejour de cette terre a été agréable pendant quelque tems à l’occasion du mariage du fils Veneville avec M(ademois)elle de Vieul et de la liaison de cette jeunne dame avec Mde de Fontenille, niece de Mde. de Clermont.
Gallerande en Pringé, chateau antique d’une forme imposante et dont les dehors sont de la plus grande beauté et l’horisoir très etendu. On voioit dans le salon à manger des portraits curieux parmi lesquels etoit celui du marechal de Clermont, tué dans la ruelle du lit du Dauphin qui gouvernoit pendant la prison du Boijean et contre lequel Mariel prevost des marchands avoit soulevé les parisiens. On y voioit aussi le portrait du cardinal d’Amboise etc.
La maison de Clermont-Gallerande remonte à la plus haute antiquité. Elle n’est pas seulement illustre par la bravoure, elle l’est encore par l’esprit ; le cardinal d’Amboise, ministre de Louis 12 etoit de cette famille. Ce ministre contribua beaucoup à faire meriter à ce roi le titre de père du peuple ; il habita Gallerande. J’ai vu une chapille en épron qui etoit un chef d’oeuvre d’architecture, suspendue presque totalement en l’air, du côté de l’est-sud du chateau, elle a été abbatue.
Ce chateau a toujours été occupé par ses maîtres depuis très longtems. Sous Louis XV. le marquis de Clermont, gouverneur de La Rochelle en faisoit ses delices. Il y fit construire une menagerie qu’il peupla d’animaux fort rares que les armateurs de La Rochelle lui apportoient de toutes les parties du globe. Ce personnage etoit bon guerrier, il prit Outenarde dans la guerre de Flandres et il fut parvenu au baton de marechal de France s’il eut été plus courtisant. Il n’eut que le cordon bleu naturellement due. Il faisoit souvent sentir la violence de son caractère aux habitans de Pringé. Sa cour n’etoit composée que d’hommes, les dames ne pouvoient y aller parce qu’il ne vivoit point avec la sienne. Il avoit une concubine qu’il avoit ammenée d’Alsace, dont le nom etoit Mozel et qu’il avoit qualifiée de celui de Baron en lui donnant un habit d’homme qu’elle porta pendant le tems de ses campagnes et qu’elle reprenoit souvent à Gallerande. Cette fille que je n’ai connue que dans son arriere saison avoit été jolie, très fraiche, elle avoit de l’esprit naturel, son caractère etoit très malin, son coeur bon ; elle est morte à la petite maison de La Piltiere, qui a été rebatie depuis elle eut deux enfans dont l’aîné mourut ; le second vit, on l’appela Mozillon, destiné à l’état ecclesiastique ; mais il fut assez honnete homme pour ne pas prendre les ordres ; il entra dans le regiment d’Orleans cavalerie, dont il s’est retiré avec brevet de capitaine. La maison de Clermont lui permit den porter les armes avec une petite etoile pour en marquer la distinction. Il prit le nom de chevalier de Clermont Duplessis ; Louis 15 autorisa cette espece d’adoption, quoique Mozillon fut né pendant la vie de la femme du marquis de Clermont. C’etoit une infraction scandaleuse aux loix. Clermont Duplessis a épousé la fille d’un orfevre de Lille, dont il a eu 12000 de revenu. Il est né avec du talent pour la musique et un genre d’esprit au dessus du commun par sa facilité et par sa singularité. On doit lui savoir gr´de s’etre addonné à la sienne numismatique, il a receuilli un medailler, qui le dispute à celui de l’institut national. Après la mort du marquis, gouverneur de La Rochelle, sa niece la duchesse de Brancas posseda par heritage la terre de Gallerande. Ce sejour devint alors plus agreable ; il fut frequenté par les gens de bonne compagnie. La duchesse vendit sa terre à son parent le marquis de Clermont, ecuier du duc d’Orleans le pere de l’Egalité, marechal de camp, qui a épousé une Latour du Pin - Montauban. Cet illustre couple n’a point eu d’enfants, mais ils ont adopté Mde. de Fonetille jeunne dame de la maison de La Tour du Pin, qui joingt beaucoup d’esprit à une figure très agréable. Elle etoit dame d’honneur chez Mde. Elisabeth. Cette famille a rendu le sejour de Gallerande infiniment agreable pendant 10 années où elle passoit toute la belle saison. Les gentilshommes des environs, la maison du Lude, celle de Veneville y venoient habituellement. Les dimanches on donnoit des fêtes aux habitans de la campagne on y distribuoit un prix de la valeur de 30 # à celui qui etoit parvenu à un but proposé etc. Le marquis et la marquise marioient de tems en tems des sujets pauvres de l’un et l’autre sexe reconnus pour honnetes et laborieux.
L’archevesque d’Auche, frere de Mde de Clermont, venoit presque tous les ans passer 15 jours. Les jeux, les fêtes, les plaisirs etoient alors multipliés. (*il y eut une occasion où les fêtes devinrent de la plus grande magnificence. Ce fut a l’occasion de l’arrivée de Mde de Lamballe. Cette princesse etoit alors âgée d’environ 30 ans ; encore belle ; elle avoit une chevelure blonde superbe ; sa taille etoit un peu puissante. Je ne pensois pas alors que cette malheureuse femme etoit destinée au masacre et que ses membres eroient dispersés dans les rues de Paris. Une de ses cuisses resta 48 heures dans la rue St. Antoine.) Ce prelat etoit doué d’un caractère très affable, d’une douceur d’ange ; j’ai remarqué pendant le traitement qu’exigea la rupture d’un tendon de la jambe, qu’il ne commandoit point à ses domestiques... il leur faisoit connoitre sa volonté par ces termes, mon ami, je vous prie de faire ceci ... un tel vous allez faire telle chose, je pense, et il les remercioit toujours. Il connoissoit assez bien la chymie. Son revenu etoit d’environ 100000 ecus dont il donnoit une partie á sa soeur, pour soutenir son rang. Celui de la maison de Gallerande etoit de 80000 # et il netoit pas suffisant, parce que naturellement le marquis aimoit la depense et quil avoit a soutenir les parents de sa femme qui etoient très nombreux et très peu aisés de la fortune. Larchevesque a perdu son grand revenu en refusant le serment. Toute la famille La Tour du Pin eut été sans ressource si la generosité du marquis de Clermont ne fut venue à son secours ; heureusement dans ces tems il lui est survenu un très gros heritage. La revolution a peu alteré sa fortune ; mais elle la exposé a perdre la tête, son tour pour la guillotine etoit arrivé pour le jour auquel Robespierre fut arrêté. Il est à remarquer que Benoit son domestique tandis que son maitre d’hotel et son chef de cuisine qui s’etoient enrichis à ses dépends faisoient contre lui des denontiations affreuses voulut l’accompagner à l’abbaie lorsqu’il fut arrêté. Cette arrestation n’avoit pour cause qu’un grand nom, une grande fortune, car Mr. de Clermont avoit à la verité emigré, mais il etoit rentré dans le tems fixé par la loi.
Mervé, près Luché, ancien chateau qui a été demembré de la terre de Gallerande et vendu à Mr. Fontaine, qui en prit le nom. Mr. de Mervé se retira croix de St. Louis, capitaine d’infanterie. Cette famille n’est point noble, mais elle a toujours vecu noblement. Ce sejour n’etoit point un lieu d’agrement, le maître y vivant 6 mois l’année avec sa famille au milieu de laquelle il se tenoit assez gourmé passant son tems à la chasse. Quoique naturellement haut et violent il sut se moderer un jour. Il chassoit dans son bois qui est sur le bord du chemin du Lude. Un marchand de cochons voit un de ses baisets et lui coupe les reins d’un coup de fouet. Mr. de Mervé arme son fusil contre le marchand, tout a coup il se retourne et gagne son chateau, où il se trouve mal par la violence qu’il s’est fait. Il habitoit à la ville la maison de la grande rue que Trokai a achetée de la nation. Il eut un frère cadet qui retint le nom de Fontaine Chamdepi et qui epousa M(ademois)elle Lefevre de Male ( ?) laquelle a été guillotinée. Mde de Mervé qui etoit de la famille Richer, gens de robe, ne donna que 3 filles a son mari. L’ainée epousa Mr. de la Motte d’Aubigné, excellent gentilhomme de Bretagne, croix de St. Louis, capitaine d’artillerie, qui emigra avec ses deux fils dont le cadet mourut peu après son depart, l’aîné est un excellent jeunne homme, chef de Chouans, qui a préservé La Flêche de l’entrée de la troupe de son parti. La 2de fille a epousé Mr de Morans, noble, demeurant près Duretal ; elle a emigré avec ses deux fils et deux filles et est rentrée en France ou elle a trouvé sa fortune vendue. Son fils cadet vient d’epouser M(ademois)elle Girout dont le pere et la mere ont été guillotinés à Nantes. La 3me fille est morte en emigration. .... Le chateau de Mervé etoit un lieu charmant par la position sur le Loir. La Citoyenne Babousse, femme d’un chirurgien de campagne, en a fait l’acquisition. Elle en a vendu les fenetres, les serrures pour vivre. Ce chateau est un lieu de desolation aujourd’hui. Cependant M(ademois)elle de la Motte fait ses efforts pour ammasser sur son mediocre revenu de quoi le racheter. Lorsque cette demoisselle est revenue de son emigration elle a trouvé des fermiers assez genereux pour lui rendre la proprieté des fermes qu’il avoient achetés de la nation. Cette demoisselle vient d’epouser Mr. Le Fevre de Chales son parent.
La Barbée, en Bazouge [BAZOUGES], ancien chateau appartenant aux Champagnes, devenu proprieté par achat de Gilles. La famille Gilles est noble d’epée et non par la mairie d’Angers comme on la pretendu ; ce nom est celui d’hommes qui ont beaucoup d’esprit, qui ont pris le nom de cette terre laquelle est considerable ... Mr. de la Barbée setoit retiré tres jeunne du service à raison d’une foible santé. Il epousa M(ademois)elle Lenaudiere personne très agréable mais d’une fortune et d’une naissance très inferieure ; il a eu deux fils, l’aîné est remarquable par sa taille et sa belle figure, encore plus par sa bravoure, par son gout pour les armes qu’il a consacré au service de la république pendant toute la guerre d’Allemagne. Il a été commandant des volontaires de Bonaparte, corps composé de gens riches et qui na subsisté qu’un moment. Il est retiré du service avec pension. Le cadet est une sorte de philosophe qui voyage actuellement en Italie. C’est lui qui a formé le theatre sousterrein que l’on voit à Grandeau. Mde. la Barbée avoit peu de gout pour la grande société, cependant j’ai vu dans cette maison les gens les plus marquants. Tout s’y traitoit dans le genre de la grandeur. Mr. de la Barbée attaqué d’une maladie ... dans le moment que j’ecris, semble devoir vivre très peu sa vie qui a été plus longue qu’il n’avoit a esperer, ...(etc.)... il est aujourd’hui un exemple de douleur et un modele de patience.
Les Gringuenieres, charmante maison de campagne en la Chapelle d’Aligne, dont le maître etoit Mr. Richard de Beauchamp, devenu noble par l’achat dune charge. Le sejour des Gringuenieres etoit un des plus agreables de nos environs. Mr. et Mde. de Beauchamp ont eu un fils et 3 filles ; cette famille etoit infiniment aimable elle reunissoit beaucoup de graces et de gaiété. Le père et la mere attiroient chez eux la meilleure compagnie, on y jouoit la commedie ; j’y ai vu jusqua 20 maîtres. Mde de Beauchamp etoit noble et avoit beaucoup de freres et neveus qui venoient aux Gringuenieres non seulement pour s’y delaisser des fatigues de la guerre mais pour y refaire leur porte manteau, leur fortune etant tres mediocre. Quatre de ces jeunnes gens ont peri a Quiberon. Si la maison des Gringuenieres etoit lieu de plaisir elle etoit egalement le centre de la vertu. Mr. de Beauchamp avoit eu une jeunesse emportée et ses paysans en avoient souffert. Avant de se marier sa vie etoit celle d’un franc libertin. Mr. de La Haye, un des ses camarades, mourut entre ses bras et mourut dans le plus vif rep... regrettant de navoir plus que quelques moments à vivre pour reparer ses fautes ; il conjura son ami d’employer le tems que le .. lui laissoit à reparer les siennes et de ne pas attendre le moment de la mort. A l’instant Mr. de Beauchamp resolut de se donner à la pratique des bonnes oeuvres, il assembla chez lui tous les pauvres de sa paroisse, leur donna à manger, les servit lui meme et les invita a prier Dieu pour obtenir le pardon de tout le mal qu’il avoit fait. Il forma une petite pharmacie chez lui et etablit avec moi une correspondance pour le traitement des pauvres malades. Il etablit chez lui un chapelain pour avoir la messe tous les jours. Chaque soir, soit lui, soit sa dame, ou une de ses demoisselles, lisoit un chapitre de l’imitation, ou l’evangile, à tous ses domestiques rassemblés, aucun n’osoit y manquer, puis on faisoit la priere en commun. Le moment de l’emigration venu son fils partit, le père vit cet enfant seul et sans experiance, il le suit quelques jours après. Ils se randirent à Mastreul, où il est mort d’une fluxion de poitrine après avoir été obligé de passer l’eau a lavage pendant la rigueur de l’hyver. ...(etc.)
Les Essarts, en Arthezé ; ce chateau n’est qu’une maison ordinaire de campagne dont le rez de chaussée fait un beau plein pied. La situation n’a rien d’agreable. Mr. Tr... de la Ganerie après avoir été regisseur de la compagnie des Indes, l’acheta de Mr. de Boissimon. Sa fille l’apporta en dotte à Mr. Chardeboeuf de Pradel, fils de Mr. de Pradel lieutenant général des armées du roi, originaire de Poitiers. Mr. de Pradel etoit un homme aimable, d’une figure noble, sa femme etoit laide aiant de l’esprit, mais ayant beaucoup de fantaisies. Il obtint le grade de marechal de camp deux ou trois ans avant la revolution. J’ai aidé dans ses couches sa dame qui a eu 5 enfans, dont un garcon nommé Jale. Mr. de Pradel, homme très honnête, gerant son bien avec ordre, eut envie d’annexer à sa terre celle de la Motte et emprunta de moi deux mille ecus, pour cet effet. Il a emigré avec sa femme et son fils ; la nation n’a pas voulu reconnoitre ma creance, parce qu’elle etoit sous seing privé. Mde. de Pradel qui a beaucoup trop d’ascendant sur l’esprit de son mari ne veut pas rentrer en France à moins que tout l’ancien ordre de chose ne soit retabli et comme cela est impossible, son voeu ne sera point accompli et je perdrai cette somme qui m’etoit fort necessaire dans mes vieux ans. ...(etc.)... Mr. de Pradel a encore sa mère et je sais que la famille a racheté Abin, chateau dans le Mirbalais. Il est donc contre la raison que Mr. et Mde. de Pradel restent en Angleterre puisque par leur retour ils peuvent sauver à leur fils une partie de sa fortune.
Maune, dans la commune de Broc à 2 lieues du Lude chateau de forme antique et moderne, acheté par Mr. Blin, financier, frère de Mr. Langlotiere. Cette terre est tombée à Mr. Blin Langlotiere par sucession. Lorsque le gouvernement revolutionnaire porta le peuple à bruler les chateaux, celui de Maune fut incendié, et ce n’est que sous ce rapport que j’en parle etant hors des environs de La Flêche. Ce chateau etoit richement meublé, enrichi d’une biblioteque choisie et de tableaux de l’ecole flamande. Les incendiaires en tirerent quelques meubles propres a leurs usages et livrerent le reste aux flammes. Il ne reste qu’une mazure rembrunie et qui sera long tems un monument des mlaheurs dont la France a été couverte par ses propres habitans et non par l’invasion de quelque peuple barbare.
[sur une feuille separée :]
Le v. La Barbée, cidevant commandant des volontaires de Bonaparte etc. vient de me dire que l’on avoit partout permis le pillage à nos troupes, que cetoit le seul moyen de les animer, de les soutenir, de leur faire aimer leur etat : qu’actuellement elles s’ennuoient en garnison. Il suit de là que nous devons etre odieux aux nations chez lesquelles nous avons ... et le feu et c’est ce qui est realisé : que le soldat seroit encore disposé a une contre revolution si on lui presentoit l’appas des gain. De là quelle crainte ne devons nous pas avoir si un general ou deux generaux ennemis de Bonaparte vouloient le culbuter.
Il a connu Desseix [DESAIX] a qui on eleve un monument. Cet homme encore ausy jeune lui a dit qu’il aimoit la guerre avec passion. Que si la France faisoit la paix il iroit au bout du monde chercher un pays ou la guerre se fit. Est ce là le caractère d’un heros ou d’un meurtrier ?